Il marchait très vite, d'un pas furtif mais souple, la tête et le dos droits, raide. Il regardait droit devant lui, n'essayant pas de suivre du regard les élèves qui le dévisageaient. Tchakarov n'était que de passage. Ensuit, il repartirait. La seule question qui se posait était de savoir où.
Stepan était beau mais son visage était marqué par la souffrance. Par la douleur. Des cicatrices bien visibles, mais d'autres, ô combien plus nombreuses, que l'on ne pouvait pas voir à l'oeil nu, mais qui étaient quand même bien présentes, le tenaillaient atrocement.
Natalia... Son souvenir le hantait. Natalia. Qu'avait-il fait ? Qu'avait-il fait...?
Elle devait l'attendre, en Russie, sur cette terre magnifique ancrée dans sa chair et son sang, et qui lui manquait autant que le beau visage de son aimée. La Russie, dont il avait été injustement exilé...
Stepan essaya de ne pas ressasser ce qui était arrivé.
Mais les images s'imposaient d'elles mêmes... L'Angleterre. La première arrestation. La fuite. La seconde. La déportation, enfin.
Tchakarov secoua la tête.
Mieux valait penser à ce qu'il comptait faire.
Ecrire à Natalia. Lui dire qu'il était heureux pour elle. Qu'elle... Lui manquait. Qu'il était recherché, mais en lieu sûr. Dumbledore était quelqu'un d'influent et il croyait à son innocence. Stepan savait que s'il ne faisait pas des siennes comme il avait eu pour habitude de faire, son avenir proche n'était pas en danger.
Ses pensées furent interrompues quand il arriva devant la tête de sanglier. La taverne était miteuse. Elle lui rappelait certaines échoppes de Russie, où les malheureux venaient se réchauffer et boire après les longues journées de travail par des températures polaires.
Tchakarov entra et aussitôt le silence se fit. Il était habitué à cela. Etant plutôt grand et surtout plus vieux que la plupart des clients, il ne s'attendait pas à autre chose. Stepan ne s'attarda pas et se mit au comptoir. Il commanda un whisky pur feu d'un ton sobre, de sa voix rauque d'avoir crié des jours durant qu'il n'avait rien fait de mal.
Il s'assit à une table et retira sa veste légère. Il était en tea-shirt léger.
Aussitôt les cicatrices apparurent. Striant de blanc sa peau, elles étaient énormément nombreuses.
Et, à son bras gauche, offert à tous les regards, son matricule.
Celui qu'ils lui avaient tatoué à son arrivée au Goulag.
N°03746.
Détenu politique extrêmement dangereux.
Nom : Tchakarov.
Prénom : Stepan.
Crime : Aucun - officiellement emprisonné pour le meurtre de sa mère adoptive et pour complot contre le Ministère Russe. élement gênant.
Les numéros jadis noirs étaient devenus plus pâles, légèrement bleutés. Mais ils s'étaleraient sur son bras toute sa vie, rappelant au jeune Russe cette nuit de souffrance durant laquelle ils l'avaient attaché et tatoué, rasé, comme un animal récalcitrant. Le premier pas vers l'horreur.