Des papillons dans l'estomac ? Non, c'est plus que ça... [Elber]

Aujourd'hui : 22h36 précises. Date mémorable. Inscrite avec de l'encre de feu, de sang, de glace dans le cœur d'Eolia. Mais commençons par le début. Ou plutôt par la fin. Enfin vous comprendrez...

Arrêt sur image : Eolia, jeune fille d'ordinaire absente et réservée, courant comme une dératée, cheveux aux vents. Gros plan : lueur presque démente dans le regard. Play : Eolia courait, haletante, suante, puisant dans ses dernières réserves. Non non, le Calmar géant n'était pas à ses trousses... La jeune fille s'essoufflait mais, redoublant d'effort pour ne pas s'arrêter, continuait sa course folle. Plus elle accélérait la cadence, plus elle trouvait que l'aller jusqu'à la plage avait été rapide. Arriverait-elle un jour au lieu d'arrivée ?

Elle n'eut pas besoin de se torturer l'esprit plus longtemps. Déjà les pointes blanches des tentes obscurcies par la baisse de la luminosité apparaissaient à l'horizon. "Encore un petit effort, et tu seras arrivée", s'encouragea-t-elle. Ne pas se concentrer sur ses poumons en feu. Ni sur ses crampes dans les mollets. Ou sur son souffle manquant. Juste sur l'incroyable moment qu'elle venait de vivre... Elle accéléra.

Après avoir fait trois fois le tour du camping, elle parvint enfin à dégotter la tente de son amie Elber (après être entrée par erreur dans une tente où un jeune couple avait décidé de passer leur lune de miel... Ils s'en souviendraient toute leur vie, assurément.). Sans même prendre la peine de s'annoncer, la jeune femme s'engouffra à l'intérieur (sans même hurler lorsqu'elle se cogna la tête en passant l'ouverture, c'est dire si elle était atteinte...) et, après avoir avalé six fois sa salive, bredouilla un malheureux :

- Elber...

Tant elle était à bout de souffle. Mais la sixième année n'avait apparemment pas l'intention de l'aider, car aucun son ne lui vint en retour... mis à part un monumental ronflement. Damned ! Elber dormait ! Eh bah tant pis, sa nouvelle ne pouvait pas attendre.

- Elber ? risqua à nouveau Eolia.

Toujours rien. Avançant dans le noir à tâtons, elle essayait de localiser le lit d'Elber afin de la réveiller. En espérant qu'elle ne lui marche pas dessus... Evoluant dans le noir absolu, la jeune fille se prit les pieds dans... un OSFONI... oui, un Objet Stationnaire Faisant Obstacle Non Identifié... et s'étala de tout son long... BING BAAAAAAAAAANG !

- Ouch, ne put qu'articuler Eolia.

Se redressant tant bien que mal au son dissonant des ronflements de son amie (eh oui, la chute de la jeune fille n'avait même pas réussi à la réveiller... dites-moi combien de verres s'était-elle enfilés pour ne pas entendre tout ce vacarme ?), elle se rappela qu'elle n'avait pas atteint la majorité pour rien, et sortit sa baguette de la poche de short.

- Lumos, chuchota-t-elle, bien qu'il soit tout à fait inutile de taire son approche vu qu'elle s'apprêtait à réveiller son amie.

La scène s'éclaira soudain. Et la jeune fille put s'apercevoir qu'elle s'était éclatée la figure sur... des raquettes de ping-pong de plage. Aïe. Ne prêtant pas plus que cela au carnage qu'elle venait de provoquer dans la tente d'Elber, elle parcourut l'intérieur des yeux à sa recherche. Là voilà ! Lovée dans son sac de couchage tel un angelot, elle somnolait. Malheureusement, cela ne suffirait pas à attendrir Eolia, sa nouvelle prévalait sur toutes les autres occupations ! Elle courut donc au-dessus de son amie et lança un discret :

- ELBER !!

Sans vraiment se soucier que son amie pourrait croire, en se réveillant en sursaut, à une alerte à une invasion de Doxys...

Ça y était. Enfin la Belle au Bois Dormant se réveillait -au Diable les contes de Fées !- et Eolia se sentait plus que fière d'elle-même. Sa poitrine allait exploser, il fallait qu'elle se confie. Seulement, Elber, en se levant en sursaut... se prit les pieds dans son sac de couchage et s'étala de tout son long sur la sol. La jeune femme se mordit la lèvre inférieure pour s'empêcher de rire... Mais la tentation était trop forte et elle éclata de rire. Ce n'était pas dans son habitude, de rire comme de se moquer de ses amis, mais les circonstances se prêtaient à la joie et la bonne humeur alors....

Eolia, tentant de freiner son fou rire, donna son bras à Elber afin qu'elle s'y appuie pour se relever. D'après les yeux affolés qu'Elber promenait tout autour de la tente, elle avait dû avoir une de ces frousses ! Ce n'était pas pour calmer la bosse de rire d'Eolia, qui, au contraire, augmenta en intensité. Alors qu'elle ouvrait la bouche pour parler puis la refermait parce qu'elle était incapable de prononcer autre chose qu'un rire, elle avait un air d'étrange ressemblance avec le poisson... Lorsqu'elle ouvrit la bouche pour la quinzième fois, elle leva la main au niveau de son cou et la bougea horizontalement pour faire signe à Elber qu'elle manquait d'air pour prendre la parole, retardant ainsi encore un peu l'annonce qu'elle avait à faire.

Lorsqu'elle se fut clamée et qu'elle n'était plus agitée que par des hoquets, elle s'essuya les yeux et se racla la gorge. Comment dire ce qu'elle avait à dire ? Elle n'avait jamais parlé de cela auparavant... Comment s'y prenait-on ?

- En fait, Elber,
Je ne sais que faire
Parce que...

Eolia s'arrêta là. Comment dire ça en rimes ? C'était pire que tout ! Il fallait tourner autour du pot, au lieu d'aller directement aux faits ! Ce n'était qu'à cet instant-là que la jeune femme comprit que les rimes mettaient un frein à la conversation et qu'elle instaurait une distance entre les interlocuteurs... Et Eolia désirait déballer ce qu'elle avait sur le cœur sur-le-champ et n'avait aucune envie d'instaurer une froide distance entre elles deux.

- Au Diable, les rimes !

C'était la pire chose qu'elle ait dit de sa vie. Elle s'en voudrait encore pendant des mois et des mois, mais la conversation entre les deux jeunes filles était primordiale...

- Tu sais quoi ? Tu sais quoi ? demanda-t-elle, sautillant sur place, les mains d'Elber dans les siennes.